Dans cette lettre, Géraldine s’écrit à elle même. Une lettre suite à son burn-out.
Géraldine, 2021 sera l’année du tournant, du virage, du changement. Il fallait passer par cette mort, cette rupture. Tu tomberas, tu seras découragée et perdue et tout s’écrou lera. Des amies te quitteront et tu souffriras. Parfois tu seras là près de la rivière à vouloir dormir pour toujours, à rêver que tout s’arrête pour ne pas affronter ce gouffre.. Tu ne le sais pas encore mais tu es une résiliente, de mère en fille, une battante et chaque jour tu te relèveras. Et, il sera là, à chaque instant, impuissant, mais rassurant, te protégeant de ses bras, rempart contre le vide. Elles seront là aussi, tes filles, tes amies. Elles t’écouteront, te conseille ront et l’éclaircie te caressera le visage.
Alors, ne baisse pas les bras, relève la tête et avance.. Le meilleur est à venir et tu seras debout, sereine et heu reuse, enracinée dans ta nouvelle vie.
On ne m’appellera plus jamais «Maîtresse»
25 ans de métier, 580 élèves, 70 »Maîîîîtresse » par jour.
Mon enfance a été baignée par les récits de ma grand mère, institutrice et directrice dans les années 40. Cette grande dame possédait une main de fer dans un gant de ve lours. Discipline et Respect. J’ai suivi ses traces.
C’était mon métier, ma passion, ma vie. Je voulais for mer de jeunes citoyens, heureux et responsables. Je tentais de transmettre les valeurs si importantes à mes yeux: la so lidarité, la tolérance et le respect. J’étais alors bien jeune et naïve.
J’ai donné 25 ans à ces chères têtes blondes, brunes ou rousses avec un désir toujours renouvelé de les guider, de les faire progresser, de les comprendre. J’ai tenté de faire évoluer ma pratique au fil des années, au fil des généra tions. Faire de mon mieux, toujours plus d’heures, plus de recherches, plus de questions, plus de pression et d’insatis faction.
Et puis, un jour, sans crier gare, un virus a envahi nos salles de classe. J’ai subi les injonctions toujours chan geantes de mes dirigeants, ces hommes qui vivent loin de la réalité d’une cour de récréation. J’ai interdit à des enfants de jouer ensemble, de se toucher. Plus de contact, plus de jeux en groupes, plus de sport! J’ai vu disparaître l’inno cence et les sourires derrière des masques trop grands, des protocoles trop contraignants .
L’absurdité faisait irruption dans ma vie. Sans forma tion, j’ai dû faire cours derrière un écran, communiquant par mail. Comment comprendre un enfant sans l’entendre, sans le voir?
Comme un bon fonctionnaire, comme une citoyenne docile, j’ai obéi, je me suis adaptée. Mais j’ai laissé le plai sir et la passion sur le bord de cette route sinueuse. J’étais un bon petit soldat, soumise à une pression grandissante, envahissante et angoissante.
Le virus me met à terre en mars, je flanche, je me re lève comme toujours. Je sens les enfants devenir de moins en moins attentifs, de plus en plus impatients. Les parents devenaient de plus en plus exigeants, de moins en moins reconnaissants. Telle une pieuvre, la lassitude, l’incompré hension prenaient place parmi nous. Envers et contre tout, j’avance toujours, jour après jour, luttant contre cette nau sée, contre ces insomnies, contre l’évidence. Mon métier n’avait plus de sens. Je suis une « maîtresse », pas cette femme qui vérifie l’hygiène des mains , pas ce gendarme qui fait la loi et se bat pour établir le respect , pas cette ci toyenne qui, à contre cœur, applique des lois qui n’ont plus de sens. Que suis-je devenue? Qu’avons-nous fait subir aux enfants? Qu’ont-ils fait de ce métier si enrichissant? Ce vi rus a fait disparaître les moments de fête, de loisirs, de con vivialité et de rencontres.
Il ne restait que l’amertume, la tristesse et la fatigue.
Vers le 15 mai, je commence à sombrer, à perdre pied. Mes nuits sont de plus en plus agitées, j’ai des nœuds dans l’estomac dès le matin, je deviens nerveuse. J’explose à la moindre remarque. N’écoutant aucune mise en garde, j’avance, péniblement, pas après pas, consommant, pour la première fois de ma vie, des anxiolytiques pour tenir de bout et faire face aux élèves. Mes proches s’inquiètent, je fais l’autruche. J’apprendrai plus tard que ce que je vivais est une étape incontournable, le déni.
Jusqu’à ce jour du 02 juillet 2021, à 10 heures, dans un angle de la cour de récréation, je meurs. Et l’enfer s’est ouvert brusquement sous mes pieds. C’est le début d’une longue traversée du désert.
Le burn out: se consumer lentement jusqu’à s’éteindre
Ce jour-là, ce fut l’agression de trop, celle qui déchira tout et me brisa. J’ai perdu le sens de mon travail, celui de ma vie et je n’avais plus le socle de mes valeurs. Tout s’est écroulé sous mes pieds, d’un seul coup, en une seconde…. Comme une descente dans des sables mouvants et vis queux. J’ai cessé de respirer, de manger et de dormir. Je me suis vidée de toute vie pour n’être qu’un corps vide et épui sé. Ces mois, ces années d’agressions, de questions, de souffrance… Je me suis brisée en mille morceaux. Et j’ai plongé, je me suis enfoncée dans un noir profond, un tunnel sans lumière. Sans fonctions vitales, sans désirs, sans éner gie, ce n’était qu’épuisement et anéantissement.
Je suis entrée dans une phase sombre de dépression. Et pour survivre, je me suis fondue dans la nature, havre se rein et rassurant.
L’angoisse m’a envahie. C’étaient des vagues inces santes, des questions oppressantes, des peurs angoissantes, un long tunnel d’incertitudes, d’obscurité et de vide. Les questions m’envahissaient.
Je pensais devenir folle. Que vais-je devenir? Quel sera mon avenir? Qu’est-ce que je vaux? Qui suis-je? Comment guérir? Comment s’en sortir? Qui m’aimera assez pour me supporter? Comment allons-nous financer la maison? Pour quoi dois-je vivre cela? Comment m’en sortir.? Je ne serai plus maîtresse, que vais-je devenir?
Je ne savais plus qui j’étais, j’avais perdu mon métier, mon identité, ma confiance, mon socle. Jour et nuit, c’était une multitude de questions, je n’en pouvais plus. Chaque matin, après une nuit sans sommeil, je partais vers ma plage préfé rée. Assise près des vagues pendant des heures, je devenais comme cette eau. Les larmes coulaient, c’était un déferle ment de peine, de questions et de peur.
Et si je m’enfonçais dans cette eau, si j’avançais jusqu’à perdre mon souffle, sentir la vie me quitter pour pouvoir enfin oublier et taire mes angoisses. Avancer pas après pas, jusqu’à la pointe des pieds et se laisser enfin aller. Pensées obsédantes, effrayantes. Heureusement, l’instinct de survie est toujours en moi; flamme vacillante de la vie.
Les vagues, tantôt douces, tantôt violentes, régulaient mon souffle. Dans cette eau froide et tourbillonnante, je me suis délestée de mes peurs, du regard des autres. Nue, enfin, délivrée du regard cupide des hommes, je m’abandonnais à cette vigueur et à cette nature sauvage et indomptable. J’étais enfin libre et je me sentais vivante.
Plus tard, c’est dans la piscine que j’ai retrouvé ces sensations. Longueur après longueur, mes muscles se con tractaient .Je nage, j’avance. Un kilomètre, puis un kilo mètre cinq cents J’aime la brasse coulée. Vertige de la pro fondeur, de l’apnée et de l’oubli. Retenir sa respiration le plus longtemps possible et respirer de nouveau. Pour sur vivre.
Cet été là, je suis devenue eau…
Quatre saisons dans une année, pourtant une seule existait en moi. J’ai laissé l’hiver m’envahir, le froid coulait dans mes veines. Un hiver long, noir, glacial et effrayant comme une épuisante journée sans sommeil, sans espoir, sans avenir. Le vide est entré pour assécher ma vie. Et je suis devenue terne, épuisée, sans désirs ni plaisirs. Envie de rien, envie d’une fin. Je n’étais qu’un arbre nu, une fleur en sommeil, un ciel sombre et tourmenté.
Puis, un jour, les couleurs sont revenues, plus chaudes, plus lumineuses, plus sereines. Ce n’était qu’un frémissement, qu’une promesse toute en nuances, une saison douce. Jour après jour, j’ai attendu ce renouveau, j’ai ressenti cette sève joyeuse, ces bourgeons verts, prêts à éclore.
J’attendais le printemps avec impatience.
Pour survivre, je me suis fondue dans la nature. J’ai obser vé le ciel pendant des heures, ce bleu intense, ce mouve ment de vie incessant. Je suis devenue comme un nuage, se laissant guider au gré du vent. Blanc quand le soleil brille, noir quand l’orage en moi menace.
J’ai marché, pas après pas, au bord de la plage, près de l’écume frémissante. J’ai parcouru les grèves près du mont saint Michel, j’ai traversé les champs et les forêts, m’enfon çant avec plaisir dans la boue, dans la terre nourricière.
Mes racines se sont ancrées, la sève s’est réveillée, faisant couler en moi l’espoir d’un avenir meilleur. J’ai découvert mes valeurs, mes attentes, mes espoirs et je me suis ouverte à une autre vie. Peu à peu, j’ai évolué et je suis devenue fé line.
Félin pour l’autre:
Il y a d’abord eu Mimi, notre persane. Pauvre chatte abandonnée qui miaulait à la porte de chez nous. Nous l’avons soignée, douchée et adoptée. Elle nous a offert de beaux chatons, de magnifiques boules de poils. Ce n’était que le début de notre amour pour les chats de races aux poils longs.
Après la disparition de notre chatte, Mystick a rejoint la famille. C’est une belle sacré de Birmanie, notre chatte des neiges. Blanche et délicate. Puis ce fut le tour de Sy bell, une magnifique Bristish longhair, offerte au début de mon burn out. Elle m’a accompagnée dans mes longues siestes, se collant contre moi et me rassurant. Je n’étais ja mais seule, ma fidèle amie me suivait partout. La ronron thérapie fut pour moi essentielle dans la guérison.
Pour guérir d’un burn out ou d’une dépression, observons et prenons exemple sur un chat. Il prend le temps de dor mir, de se relaxer quand il en a besoin. Son réveil se fait doucement, tout en s’étirant et en faisant sa toilette. Tout cela en silence et en douceur.
Il n’est jamais vraiment domestiqué et ne s’adresse qu’à l’humain choisi, l’élu. Il sélectionne avec soin son maitre et refuse de se soumettre aux autres. C’est un animal indépen dant, autonome. Il ne dépend de personne.
Prendre mon temps, ne pas dépendre des autres, travailler dans le calme et le respect, ne plus obéir à des ordres inco hérents, ne plus vouloir à tout prix aider les autres et surtout ne plus travailler avec des enfants.
Calme, sérénité, Autonomie et Respect.
Tels sont mes désirs pour mon avenir professionnel et j’y parviendrai.
Une nouvelle page de ma vie s’ouvre, parcourue par de pe tites pattes de velours.
Les chats et moi, nous sommes félins pour l’autre.
Géraldine Defoy
De maîtresse à la pension féline
Envie de partager ton témoignage ? Envoie le par email à Charlotte avec :
– le titre
– ton prénom (et nom si tu le souhaites)
– une photo libre de droit à utiliser